Le carburant « vert », le béton « vert », le pneu « vert » ou encore le bitume « vert » ou même la voiture « verte » … des termes tendances qui font la une de la presse commerciale. Ces appellations désignent des produits chimiques écologiques, biodégradables et respectueux de l’environnement…
En effet, pour répondre aux exigences du consommateur, celles des réglementations environnementales, mais surtout pour se réconcilier avec son passé décevant, la chimie a inventé un nouveau concept appelé la «Green Chemistry».
Rapidement devenue populaire et largement adoptée par la communauté scientifique, la chimie verte est perçue comme une solution d’avenir qui préserverait notre planète et donnerait un élan à l’industrie chimique.
Quelle est donc cette nouvelle chimie ? Sur quoi se base-t-elle ? Saura-t-elle réaliser les objectifs pour lesquelles elle a été créée ?*
Tout est chimie!
Outre les réactions chimiques naturelles, comme la digestion, la formation de rouille ou la photosynthèse,… le monde qui nous entoure est envahi par des produits issus de la chimie: papier, encre, peinture, plastique, savons, alliages métalliques, produits pharmaceutiques, cosmétiques, alimentaires, agricoles, sanitaires, etc. … La chimie est au cœur de notre vie !
Stéphane Sarrade : chercheur au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA)
Longtemps accusée d’être la seule responsable de tous les problèmes environnementaux (réchauffement climatique, marée noire, effet de serre, couche d’ozone, épuisement des ressources énergétiques,…), on a souvent tendance à négliger le rôle de l’industrie chimique dans le développement de notre qualité de vie, que ce soit dans le domaine de la santé, l’agriculture ou l’alimentaire. Sans la chimie notre civilisation toute entière serait modifiée, dégradée, peut-être même anéantie.
Nous ne pouvons plus reculer, la chimie fait maintenant partie de notre vie. Pour limiter les dégâts, les chercheurs devaient trouver des solutions nouvelles pour créer une chimie plus propre et plus sûre mais qui reste compétitive.
La chimie verte... un oxymore!
La chimie verte est souvent considérée comme une vision quasi-philosophique de la chimie. En effet, il est difficile de concilier la couleur verte, symbole d’une planète saine où il fait bon vivre, avec un concept intimement lié à l'impact de l'activité humaine qui tout au long de l’expansion intense de l’ère industrielle, a déversé de manière anarchique et incontrôlée, des substances chimiques dans les airs, les eaux et les sols. Pourtant, les chimistes y sont arrivés.
La chimie verte est un ensemble de techniques permettant de prévenir la pollution en concevant des produits et des procédés permettant de réduire ou d’éliminer l’utilisation et la synthèse de substances dangereuses, plutôt que de se limiter au traitement des déchets produits.
Longtemps, la préoccupation des industriels chimistes était de synthétiser de nouveaux produits en un minimum d'étapes. Cette préoccupation était essentiellement d'ordre économique : les effets secondaires des solvants ou la quantité de déchets produits au cours de la fabrication comptaient peu dans l'équation (voir figure 1).
Aujourd'hui, on commence à tenir compte des conséquences environnementales. En effet, face à un consommateur avisé et à des réglementations environnementales devenant de plus en plus sévères, l’industrie chimique devait envisager des attitudes plus propres. C’est ainsi que la chimie verte est devenue un axe prioritaire de recherche et de développement.
Figure 1: évolution de la philosophie de développement des précédés par l’industrie chimique
Source: Green chemistry and engineering par Mukesh Doble et Anil Kumar Kruthiventi p: 8
Le produit vert: notion très prisée par les consommateurs
Un produit vert ou responsable – à ne pas confondre avec un produit bio – est un produit conçu, fabriqué et commercialisé dans des conditions compatibles avec le développement durable. Il doit être le moins nocif possible pour l’environnement et doit être recyclable.
Tableau 1 : Quelques exemples de produits verts
Bitume vert |
Contient un émulsifiant non toxique bio-dégradable élaboré sans solvant et sans rejet |
Résine sans formol |
Fabriquée sans solvant à base de fibres naturelles |
Polymère biodégradable |
Polymère de synthèse : Après son utilisation, il se dégrade facilement en composantes bénignes |
Tensioactif vert |
Entièrement biodégradable développé a partir de matière première naturelle selon un procédé propre |
Malgré leur coût élevé, les produits verts séduisent de plus en plus de consommateurs. D’après le site des statistiques mondiales écologiques en temps réel Planetoscope, le montant estimé des dépenses en produits et services "verts" en Angleterre et aux Etats-Unis avoisine les 500 milliards de dollars et croit d'environ 8% par an. En outre, une étude menée par le Centre for Retail Research mandaté par le site Kelkoo montre que les européens dépensent en moyenne 369 euros par an en produits verts et les suisses sont les plus gros consommateurs avec 555 euros. En effet, les ventes de produits verts ont tendance à progresser avec la hausse mantenue du prix de pétrole. En 2015, selon la même étude, ces ventes vont atteindre 21,7 milliards d’euros en France.
Par ailleurs, les consommateurs s’intéressent aux produits verts mais se méfient des prétentions écologistes des fabricants de biens et services. En effet, les produits verts sont de plus en plus nombreux : selon l'entreprise de marketing environnemental Terra Choice, le nombre de produits verts a augmenté de 73 % entre 2009 et 2010. Cependant, les appellations vertes et écologiques ne sont pas bien réglementées et certains industriels en profitent pour vendre leurs produits à une clientèle mal informée.
En général, les produits verts sont identifiables à partir d’eco-labels. Ils en existent de nombreux à travers le monde mais en Europe deux émergent : l’Écolabel européen et le label NF Environnement pour la France.
Néanmoins, l'écolabel n'est pas un label officiel : il n’est qu’une mention attribuée par une organisation privée certifiante. Il est à noter que l’appellation verte ne doit être attribuée à un produit que si la conception de ce dernier respecte les principes de la chimie verte tout au long de son cycle de production, incluant bien évidement les phases de conditionnement et d’emballage.
Les principes de la chimie verte
Les principes de la chimie verte constituent les règles que doivent suivre les chimistes pour mettre au point des processus et des produits verts, ils sont au nombre de douze :
1- Prévention
Envisager des synthèses chimiques non génératrices de déchets à traiter ou à gérer car il vaut mieux produire moins de déchets qu'investir dans leur traitement.
2- Économie d'atomes
Les synthèses doivent être conçues dans le but de maximiser l'incorporation des matériaux utilisés, au cours du procédé dans le produit final. C'est-à-dire qu’il ne faut pas laisser d’atomes de côté lorsqu’on fait une synthèse. Il faudrait qu’il n’y ait pratiquement pas d’atome non utilisé.
3- Synthèses chimiques moins nocives
Lorsque c'est possible, les méthodes de synthèse doivent être conçues pour utiliser et créer des substances faiblement ou non toxiques pour les humains et sans conséquences sur l'environnement.
4- Création de produits chimiques plus sécuritaires
Les produits chimiques doivent être conçus de manière à remplir leur fonction primaire tout en minimisant leur toxicité.
5- Solvants et auxiliaires plus sécuritaires
Eviter l’utilisation de solvants, agents de séparation ou autres produits auxiliaires. Si ces derniers sont nécessaires, utiliser ceux qui sont inoffensifs.
6- Amélioration du rendement énergétique
Les besoins énergétiques des procédés chimiques ont des répercussions sur l'économie et l'environnement dont il faut tenir compte et qu'il faut minimiser. Il faut mettre au point des méthodes de synthèse dans les conditions de température et de pression ambiantes.
7- Utilisation de matières premières renouvelables
Lorsque la technologie et les moyens financiers le permettent, les matières premières utilisées doivent être renouvelables plutôt que non renouvelables.
8- Réduction de la quantité de produits dérivés
Lorsque c'est possible, toute déviation inutile du schéma de synthèse doit être réduite ou éliminée.
9- Utiliser des catalyseurs
Les réactifs catalytiques sont plus efficaces que les réactifs stœchiométriques. Le catalyseur permet d'économiser de l'énergie et de réduire le temps de réaction et peut être, dans certains cas, récupéré et réutilisé. Il faut, donc, favoriser l'utilisation des réactifs catalytiques les plus sélectifs possibles.
10- Concevoir des produits biodégradables
Les produits chimiques doivent être conçus de façon à pouvoir se dissocier en produits de dégradation non nocifs à la fin de leur durée d'utilisation, cela dans le but d'éviter leur persistance dans l'environnement.
11- Analyse en temps réel de la lutte contre la pollution
Des méthodologies analytiques doivent être élaborées afin de permettre une surveillance et un contrôle en temps réel et en cours de production avant l’apparition de substances dangereuses
12- Pratiquer une chimie essentiellement sécuritaire afin de prévenir les accidents
Les substances et la forme des substances utilisées dans un procédé chimique devraient être choisies de façon à minimiser les risques d'accidents chimiques, incluant les rejets, les explosions et les incendies.
Ces douze principes montrent bien que le développement de la chimie verte ne coïncide pas avec l'avènement d'une nouvelle discipline : c'est en fait une nouvelle façon de concevoir la chimie. En effet, elle a pour objectif de se substituer à la pétrochimie tout en gardant la même diversification de produits et services mais en optant pour des techniques plus propres.
Joël Barrault : directeur de recherche au laboratoire de catalyse en chimie organique du CNRS
La chimie verte au Maroc?
Pour ce qui est du Maroc, dans le cadre du respect de l’environnement et de la santé humaine, d’importants programmes de développement économique ont été lancés. Le gouvernement a mis en place des outils permettant d’encourager les entreprises à respecter la réglementation environnementale et s’est doté d’un arsenal juridique important en la matière. L’objectif étant d’inciter les acteurs industriels à adopter des mesures portant sur la promotion de la chimie verte et la réduction de l’utilisation de la matière chimique dans les produits.
Pour cela, le Centre marocain de production propre (CMPP) a été crée en juin 2000 dans le cadre d’un partenariat public privé ente le Ministère de l'Industrie du Commerce et des Nouvelles Technologies et la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM). Le but de ce Centre est de sensibiliser les industriels, les informer et leur apporter de l’assistance technique pour l’adoption des technologies plus propres et des systèmes de management environnemental. Toutefois, le consommateur marocain n’est pas encore assez conscient de l’importance du développement durable. Un programme de sensibilisation doit accompagner ce développement, pour ancrer la culture environnementale chez le cytoyen.
L'avenir de la chimie!
En 2011, sur proposition de l'Ethiopie, l'UNESCO dédie une année internationale à la chimie. Cette initiative vient rendre hommage à l’apport de ce secteur dans le développement durable et véhiculer une image positive de la chimie : celle de la « Chimie Verte ».
Aujourd’hui, les industriels chimistes passent d’une ère d’éco-efficacité, où l’on se contentait de diminuer les nuisances sur l’environnement ou de les corriger du mieux possible, à une ère d’éco-conception, où tout produit doit être conçu en fonction de son devenir et où toute méthodologie doit respecter l’environnement.
Un défi pour les chercheurs et les industriels, mais aussi une source d’innovations et sans doute de profits, la chimie verte permettrait de substituer les dérivés du pétrole, dans de nombreuses applications, et de soulager les industries pour lesquelles aucun remplacement n’est actuellement possible. Bref, la chimie verte représente un avenir très prometteur pour le développement industriel mais aussi pour le bien-être de notre planète.
Cependant, en 2050, on prévoit 9 milliards d’habitants sur terre, avec des changements climatiques extrêmes. Aussi, les surfaces agricoles doivent subvenir, à la fois, aux besoins alimentaire des populations et à ceux de l’industrie chimique. Ce qui risque de constituer une limite au développement de la chimie verte.
Seulement, pour se substituer au pétrole, de nombreux pas sont encore nécessaires. En effet, la chimie verte doit encore démontrer son efficacité industrielle, économique et environnementale.
Il est à noter que la chimie verte n’est que l’une des deux orientations fondamentales de la chimie du futur ; la seconde étant cette recherche de la miniaturisation extrême que représentent les nanotechnologies. Toutefois, commercialisés sans en évaluer les effets sur la santé ou l’environnement les nano-produits sont loin de satisfaire aux aspirations des écologistes.
Quoi qu’il en soit, les chimistes s’engagent, en ce moment, dans une aventure extraordinaire : une nouvelle révolution aux conséquences multiples. Le terrain à explorer est immense !
Plus que jamais les chimistes occupent, et occuperont, une place prépondérante dans la société. Il leur incube de répondre aux besoins actuels de l’humanité sans oublier les générations futures.
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